Anatomie d'une chute

Un film de Justine Triet

Peut-être les intuitions sont-elles parfois la voix d’une volonté ou d’une conviction qui s’exprime sans que nous en ayons conscience. Plusieurs personnes de confiance m’avaient conseillé d’aller voir le film Anatomie d’une chute. Malgré l’intuition négative, j’y suis allé. Le film est fait de plusieurs genres – drame familial, film de procès, thriller… – et raconte la mise en cause et le procès d’une femme dont le mari est mort en tombant du troisième étage de leur chalet, avec pour témoin leur fils malvoyant. Le scénario est absolument parfait. Les acteurs et actrices sont tous d’une saisissante justesse. Le film offre de multiples niveaux de lecture entremêlées à explorer, toute la complexité humaine s’y déploie. Le couple et ses mécanismes parfois impitoyables y sont décortiqués ; l’écriture, la création artistique – les deux parents sont des littéraires –, ses difficultés et ses frustrations sont un autre aspect passionnant du film ; il y a bien sûr aussi les rapports à l’enfant unique ; la culpabilité ; l’aveuglement ; et puis, magistralement traité, il y a la justice, le procès, la façon dont se forge la vérité judiciaire. Le film explore ce qu’est la réalité. Que la femme soit écrivaine permet de tisser les subtils motifs des réalités intriquées : celle de la femme, celle de l’homme, celle de l’enfant, celle des écrits, celle de la justice, la nôtre, spectateur qui essayons de trouver notre chemin. Qu’est-ce que la réalité ? Il y a la subjective, l’objective, celle qui surgit d’elle-même et celle que l’on doit construire, celle des faits et celle des causes, des motivations. Anatomie d'une chuteLes sentiments y sont puissants et, à un moment ou un autre, tout un chacun ne peut que s’identifier à l’un ou plusieurs de ceux qui animent les personnages. Ce qui permet tout ce qui précède est une mise en scène d’une grande dextérité – citons pour exemple ce moment où, au cours d’un flash back, la voix seule est dissonante, ce qui fait douter de la réalité du souvenir… Ainsi brièvement évoqué, ce très bon film paraît parfait. Le voir me fut pourtant à la limite du supportable. Plusieurs fois j’hésitai à quitter la salle. Je n’y restai que pour la qualité du film et, plus encore peut-être, parce que je voulais en savoir la fin. Ce qui me l’a rendu insupportable est l’amoncellement de souffrances. Tous, jusqu’au chien, souffrent. Il n’y a jamais aucune échappatoire. Peut-être ces souffrances variées et omniprésentes ont-elles fait écho à quelque chose en moi. Peut-être était-ce simplement trop. Peu importe. Cette chape implacable de peines m’a oppressé, elle m’a fait mal et a fini par m’apparaître pathologique. Un film, un livre peut ainsi être à la fois d’une très grande qualité et tout à fait insupportable. Pour moi. Il n’en est manifestement pas ainsi pour de nombreux autres. Anatomie d’une chute est l’incarnation parfaite de ce qui n’est « pas pour moi ». J’en avais eu l’intuition, j’aurais dû l’entendre. Les douleurs de la chute tuméfient encore mes pensées et je peine à y trouver quelque sens.

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Fiche technique : https://fr.wikipedia.org/wiki/Anatomie_d%27une_chute



Leo S. Ross
30 01 2024