Premier mai

Premier mai 2020 et je suis chez moi. Première fois depuis plus de deux décennies que je ne défile pas dans la rue le 1er mai. Je m’entrave pour juguler la circulation d’une saloperie qui porte bien son nom, une histoire de coronavirus. Et pourtant, c’est le 1er mai. Alors ne reste que le refuge de la mémoire pour calmer la frustration du confinement. Ah ce printemps ! Que j’aimerais être dans la rue, retrouver des amis, voir des gens debout, courir en riant entre les grains de pluie et, qui sait, c’est arrivé, entre des lacrymogènes. Mais je suis chez moi, avec les miens, mais sans tous les autres. Alors la mémoire. Honorer nos aïeux.
1886, Chicago. Les ouvrières et ouvriers du pays, dans un vaste mouvement décidé deux ans plus tôt, réclament que la journée de travail soit limitée à huit heures. Le 1er mai, ils sont 340 000 à manifester à l’appel des anarchistes. La police charge la foule, un manifestant est tué. Trois jours plus tard, à Haymarket Square, la police charge à nouveau la manifestation appelée pour protester contre les violences de la police. Cette fois une bombe tue un policier et plusieurs autres meurent dans les échauffourées qui s’ensuivent ; des infiltrés de l’agence Pinkerton, engagés par les grands patrons, sèment la confusion et huit leaders syndicalistes, tous anarchistes, sont arrêtés. Ils seront bientôt condamnés à mort et exécutés. En 1889, l’internationale socialiste fait du 1er mai, en hommage aux évènements de Chicago, la journée internationale des travailleurs, dont le premier combat est toujours la journée de huit heures. Nous devons à tous ces hommes et toutes ces femmes qui ont tant lutté nos droits de travailleurs. Nous leur devons d’avoir, les premiers, commencé à essayer d’équilibrer le funeste rapport de force entre capitalistes et travailleurs. Nous leur devons d’avoir voulu abolir le capitalisme. Alors, faisons-leur honneur.
Cultiver leur souvenir c’est aussi dénoncer les petits falsificateurs de l’histoire. Alors, Emmanuel Macron, rengaine tes discours en carton. Ce jour n’est pas la fête du Travail. La « fête du Travail » c’est Pétain qui l’a instaurée en 1941 dans le cadre de son programme « Travail, famille, patrie ». Remballe tes références fascistes, Macron.
Mais si cultiver le souvenir et dénoncer les falsificateurs fait du bien à l’âme, assainit le discours, ce n’est guère plus fertile. De cette mémoire, de ce souvenir, il faut faire émerger du présent. Souvenir ne suffit pas. La mémoire doit catalyser l’action. Puissent ces souvenirs nous éclairer ce qu’il reste à conquérir. Pas aujourd’hui, mais dès que nous pourrons sortir à nouveau. Regardez le monde autour de nous. Le trouvez-vous juste ? Trouvez-vous que le pouvoir des capitalistes soit légitime ? Si oui, alors nous n’avons plus rien à nous dire. Mais dans le cas contraire… dans le cas contraire, souvenons-nous aussi que les hommes et les femmes de Chicago, en 1886, portaient des revendications d’amélioration des conditions de vie des travailleurs, mais ils portaient aussi et surtout des aspirations révolutionnaires. À cette époque, déjà, ils pensaient et agissaient pour une autre organisation de la société.
Le plus grand honneur que nous pouvons faire à la mémoire du 1er mai c’est d’imaginer et d’inventer ceux de demain.


Les martyrs de Chicago : Auguste Spies, Samuel Fielden, Oscar Neebe, Michel Schwab, Louis Lingg, Adolphe Fischer, Georges Engel et Albert Parsons

Premier mai

Nos vies, pas leurs profits



Leo S. Ross
01 05 2020